Il faut relire ceux qui nous ont donné à penser et dont on s'acharne à oublier les enseignements, plus de 30 ans après ! Jean-Pierre Dacheux
Gilles Deleuze sur Israël et la Palestine dans "Deux régimes de fous" (1983). Le 3 août 2014.Par Yvan Najiels - Mediapart.fr
Voilà ce que Gilles Deleuze écrivait à propos de la création de l'état israélien sur le dos des Palestiniens dans son recueil de textes publié chez Minuit en 1983, Deux régimes de fous. Ce texte garde toute sa pertinence. Il illustre notamment très bien l'obscénité de celles et ceux, nombreux hélas, qui crient à l'antisémitisme (pas moins !) pour faire taire (parfois avec le concours de nervis de la LDJ) l'expression du soutien à la résistance palestinienne.
" Dʼun bout à lʼautre, il sʼagira de faire comme si le peuple palestinien, non seulement ne devait plus être, mais nʼavait jamais été. Les conquérants étaient de ceux qui avaient subi eux-mêmes le plus grand génocide de lʼhistoire. De ce génocide, les sionistes avaient fait un mal absolu. Mais transformer le plus grand génocide de lʼhistoire en mal absolu, cʼest une vision religieuse et mystique, ce nʼest pas une vision historique. Elle nʼarrête pas le mal ; au contraire, elle le propage, elle le fait retomber sur dʼautres innocents, elle exige une réparation qui fait subir à ces autres une partie de ce que les juifs ont subi (lʼexpulsion, la mise en ghetto, la disparition comme peuple). Avec des moyens plus« froids » que le génocide, on veut aboutir au même résultat.
Les USA et lʼEurope devaient réparation aux juifs. Et cette réparation, ils la firent payer par un peuple dont le moins quʼon puisse dire est quʼil nʼy était pour rien, singulièrement innocent de tout holocauste et nʼen ayant même pas entendu parler. Cʼest là que le grotesque commence, aussi bien que la violence. Le sionisme, puis lʼEtat dʼIsraël exigeront que les Palestiniens les reconnaissent en droit. Mais lui, lʼEtat dʼIsraël, il ne cessera de nier le fait même dʼun peuple palestinien. On ne parlera jamais de Palestiniens, mais dʼArabes de Palestine, comme sʼils sʼétaient trouvés là par hasard ou par erreur. Et plus tard, on fera comme si les Palestiniens expulsés venaient du dehors, on ne parlera pas de la première guerre de résistance quʼils ont menée tout seuls. On en fera les descendants dʼHitler, puisquʼils ne reconnaissaient pas le droit dʼIsraël. Mais Israël se réserve le droit de nier leur existence de fait. Cʼest là que commence une fiction qui devait sʼétendre de plus en plus, et peser sur tous ceux qui défendaient la cause palestinienne. Cette fiction, ce pari dʼIsraël, cʼétait de faire passer pour antisémites tous ceux qui contesteraient les conditions de fait et les actions de lʼEtat sioniste. Cette opération trouve sa source dans la froide politique dʼIsraël à lʼégard des Palestiniens.
Israël nʼa jamais caché son but, dès le début : faire le vide dans le territoire palestinien. Et bien mieux, faire comme si le territoire palestinien était vide, destiné depuis toujours aux sionistes. Il sʼagissait bien de colonisation, mais pas au sens européen du XIX° siècle : on nʼexploiterait pas les habitants du pays, on les ferait partir. Ceux qui resteraient, on nʼen ferait pas une main-dʼoeuvre dépendant du territoire, mais plutôt une main-dʼoeuvre volante et détachée, comme si cʼétaient des immigrés mis en ghetto. Dès le début, cʼest lʼachat des terres sous la condition quʼelles soient vides dʼoccupants, ou vidables. Cʼest un génocide, mais où lʼextermination physique reste subordonnée à lʼévacuation géographique : nʼétant que des Arabes en général, les Palestiniens survivants doivent aller se fondre avec les autres Arabes. Lʼextermination physique, quʼelle soit ou non confiée à des mercenaires, est parfaitement présente. Mais ce nʼest pas un génocide, dit-on, puisquʼelle nʼest pas le « but final » : en effet, cʼest un moyen parmi dʼautres. La complicité des Etats-Unis avec Israël ne vient pas seulement de la puissance dʼun lobby sioniste. Elias Sanbar a bien montré comment les Etats-Unis retrouvaient dans Israël un aspect de leur histoire : lʼextermination des Indiens, qui, là aussi, ne fut quʼen partie directement physique. il sʼagissait de faire le vide, et comme sʼil nʼy avait jamais eu dʼIndiens, sauf dans des ghettos qui en feraient autant dʼimmigrés du dedans. A beaucoup dʼégards, les Palestiniens sont les nouveaux Indiens, les Indiens dʼIsraël. Lʼanalyse marxiste indique les deux mouvements complémentaires du capitalisme : sʼimposer constamment des limites, à lʼintérieur desquelles il aménage et exploite son propre système ; repousser toujours plus loin ces limites, les dépasser pour recommencer en plus grand ou en plus intense sa propre fondation. Repousser les limites, cʼétait lʼacte du capitalisme américain, du rêve américain, repris par Israël et le rêve du Grand Israël sur territoire arabe, sur le dos des Arabes."
URL source: http://blogs.mediapart.fr/blog/yvan-najiels/030814/gilles-deleuze-sur-israel- et-la-palestine-dans-deux-regimes-de-fous-1983
1 sur 2 07/08/14 14:47
L'écologie politique sous l'éclairage de la dé-croissance et de la non-violence
vendredi 8 août 2014
Gaza : que fait l'Europe ?
Rien à ajouter...
L'Europe
prend ses vacances. Est-ce ceci qui explique le silence terrifiant
qui répond à la terreur qui frappe les habitants de Gaza et que
l'arrêt momentané des hostilités n'effacera pas ?
Rien
ne peut justifier que 100 victimes tombent en quelques heures, et
près de deux milliers en quelques semaines, que des hommes, des
femmes, des enfants, pris au piège de ce ghetto, fuient dans toutes les
directions comme des animaux apeurés sans trouver d'issues
puisque tout est contrôlé, fermé, assiégé, bombardé. Plus de centrale
électrique, plus d'eau, bientôt plus de soins médicaux, plus de
nourriture. Si l'armée israélienne caresse le rêve meurtrier et
illusoire de « casser » le Hamas, elle se moque absolument des
ravages causés à une population qu'elle a cessé de considérer
comme ses futurs voisins, et peut-être même comme appartenant à la
même humanité que les Israéliens.
Le
silence européen prend d'autant plus de relief que l'on a sous nos
yeux un élément de comparaison : les mesures prises contre la
Russie. Mesures très prudentes mais mesures quand même alors que
l'Union européenne et l'allié américain se contentent de mots quand
il s'agit de la Palestine. Regretter la violence mais ne jamais
contraindre les autorités israéliennes, telle semble être la
politique en vigueur.
Il
est temps de mesurer les dimensions du crime qui est en train de se
commettre sous nos yeux. Il est temps de comprendre que l'Union
européenne ne s'exonérera pas de ses responsabilités en payant,
une nouvelle fois, la reconstruction d'infrastructures
aussitôt détruites. Notre argent ne nous empêchera pas d'être
considérés comme complice de ce que nous aurions pu empêcher, tout
simplement parce que notre argent n'est pas l'étalon qui
détermine le prix des vies humaines perdues à Gaza.
La
France et le Royaume-Uni, membres de droit du Conseil de sécurité
doivent, à défaut des Etats-Unis, saisir les Nations unies d'une
résolution contraignante et, sous peine de sanctions, imposant un
cessez-le-feu, le retrait des troupes israéliennes de Gaza,
l'envoi d'une force d'interposition et de protection du peuple
palestinien, et la fin du blocus aérien, maritime et terrestre
de ce territoire. L'Union européenne doit suspendre l'accord
d'association qui la lie à Israël.
Que
la Palestine soit, enfin, reconnue comme un membre à part entière
de l'ONU et que le Conseil de sécurité décide de saisir sans plus de
délais la Cour pénale internationale pour que les auteurs et
responsables de tous les crimes de guerre commis aient à rendre
compte devant la justice.
Michel Tubiana, président du REMDH, et Karim Lahidji, président de la FIDH
Libération, 8 août 2014
dimanche 6 avril 2014
Pierre Rhabi et la décroissance.
Pierre Rhabi est un
philosophe mais il n'est pas un doctrinaire. C'est un praticien.
Depuis sa ferme de Monchamp, il incarne ce qu'il pense dans et sur un
territoire rocailleux depuis bientôt cinquante ans. L'agroécologie
qu'il préconise, il la met en action. Il est radicalement
« non-capitaliste ». L'avidité et l'insatiabilité lui
semblent des travers dont souffre l'humanité tout entière.
« Toujours plus ne génère pas de la joie » dit-il.
La décroissance dont
parle Rhabi n'a rien de subversif, c'est une lucidité. La planète
est limitée et le « système duel » (repus/affamés) est
une guerre économique qui ne peut déboucher que sur la guerre tout
court. Ce qui est subversif, ce n'est pas l'intention des
écoagriculteurs, c'est la réalité qui, peu à peu, lentement,
irréversiblement, bouleverse les affirmations péremptoires des
maîtres du pouvoir, un pouvoir qui ne mord plus sur le quotidien des
peuples.
On a toujours présenté
la révolution comme une contestation violente et comme un
renversement des gouvernements par la force. Pierre Rhabi ne se situe
pas parmi les tenants de cette révolution-là qui connaît soit
l'échec de ses moyens, soit, pire, l'échec de ses objectifs quand
celui qui renverse les tyrans devient un tyran. « La colère ne
doit pas blesser les autres » affirme encore Pierre Rhabi. La
prise de conscience de notre inconscience est seule à même de
retourner la logique qui nous détruit.
La conquête est
illusoire. Se penser humain n'est pas s'investir dans un territoire à
dominer, à occuper et à défendre. La concentration des avoirs
entre les mains de 1300 milliardaires engendre le malheur. Comme
depuis des siècles et des siècles, l'injustice produit des conflits
meurtriers, de plus en plus meurtriers. C'est pourquoi l'écologie
mise en œuvre tout de suite, sans attendre l'autorisation de
quiconque est la seule voie de changement ouverte.
Au
primat absolu de l'économie, Pierre Rhabi oppose le réalisme de la
bio-économie et se réfère à Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994)
qui n'a cessé d'annoncer que la croissance indéfinie et sans
contenu ne conduisait qu'à des excès temporaires, ravageurs à
échelle historique. Cette évidence que de nombreux penseurs ont
décrite dans de multiples livres est rejetée par la plupart des
politiques comme un rejet du progrès humain.
Les
techniques n'ont pas d'autonomie de développement. Elles sont
voulues et déployées par des cerveaux humains. Les technologies
mises au service du vivre ensemble sur une même terre peuvent
s'avérer positives ou pas. Pierre Rhabi propose « une
posture », un art de vivre, une vigilance éthique (« on
peut faire manger bio et exploiter son prochain » dit-il). Son
approche du monde sans compétitivité mais avec créativité est
sans agressivité mais exige une coopération permanente à laquelle
nous ne sommes pas éduqués.
C'est
une manière de révolution culturelle non violente à laquelle nous
sommes invités par tous les « colibris » du monde, à
l'instar de ces oiseaux si nombreux, si petits, si actifs, si
présents et si efficaces. Plus encore que la lutte des classes qui
oppose victimes et exploiteurs, le recours immédiat à des moyens
adaptés aux fins auxquelles aspirent les humains peut inverser la
logique mortelle à laquelle nous souscrivons à regret mais par
résignation.
Pierre
Rhabi est un utopiste concret.
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